Lieutenant Aviateur Albert HENRY

C’est en 1934 que nous le découvrons à l’Ecole Royale Militaire. Breveté Pilote en 1939, il participe à la campagne des 18 jours et y effectue 3 missions aériennes. Il est fait prisonnier le 28 mai 40, après avoir démobilisé tout le personnel de son unité. Capitaine-Aviateur, il ne supporte pas la captivité, s’évade de l’OFLAG 2A de Prenzlau le 9 avril 42, mais est repris à Berlin le lendemain.


Deuxième évasion le 9 décembre 42, réussie cette fois. Il sera l’un des treize officiers belge à s’être évadé parmi les 3.000 autres prisonniers dans les OFLAG.
Home intègre, avare de confidences, d’un calme olympien, jouissant de l’estime de tous ceux qu’il a commandés , le Général Henry a tenu à faire le « Pèlerinage des évadés de Guerre » à Gibraltar et à Londres en 1988, malgré son état de santé et a consenti – enfin diront certains – à raconter deux ou trois péripéties, plutôt étonnantes, survenues au cours de ses évasions et à son arrivée à Londres.
Le texte qui suit, de la main du Général Henry, est extrait de « Le Rendez-vous de Gibraltar » de Guy Weber.

Les quelques lignes, qui suivent, sont les seules que j’ai écrites depuis la guerre 1940-1945. Malgré de nombreuses sollicitations, j’ai toujours résisté à la tentation d’écrire le récit de mes tribulations ; j’ai toujours pensé que mes actes étaient la conséquence logique de mon état d’officier.

Je me limiterai donc, à raconter deux ou trois péripéties, plutôt étonnantes, survenues au cours de mes deux évasions et à mon arrivée à Londres et je ferai part de quelques réflexions.

Première évasion

Par un tunnel construit au cours de nombreuses semaines de travail harassant, et grâce aussi à l’esprit ingénieux de certains officiers, (système d’aération d’un tunnel long d’une douzaine de mètres, faux papiers de travailleurs belges en congé), je suis sorti avec dix autres officiers dans la nuit du 14 avril 1942, du camp de Prenzlau (à mi-distance de Stettin et Berlin).
Ce coin de ciel bleu, souffle d’air frais, à la sortie du tunnel, ont laissé chez moi un souvenir inoubliable ; le moment tant attendu, de retrouver la liberté était arrivé.
Avec mon compagnon d’évasion, également aviateur, nous étions porteur de notre uniforme, sous un loden bleu. Nous sommes arrivés le soir à Berlin, sur le quai du métro à Siemensstadt, avec quelques marks en poche (nous n’avions pas pu échanger, comme prévu notre billet de 1.000 francs au camp de travailleurs belges…devenus polonais, à notre grande déconvenue) ; nous nous sommes donc trouvé dans l’impossibilité de prendre le train-express du soir, Berlin-Aix-La-Chapelle. Que faire, s’avouer perdant et se rendre à la police ou risquer le tout pour le tout ? La décision a été rapidement prise, et je me suis adressé à la jeune fille d’une boutique, située sur le quai, et où nous avions dégusté un verre de bière, quelques minutes plus tôt, pour soutenir notre moral très chancelant. J’ai expliqué, à cette jeune alsacienne, ce que nous étions réellement et je lui ai demandé si elle pouvait nous aider en changeant nos deux billets de 1.000 francs.
Et une heure plus tard, elle m’a rappelé et je me suis trouvé devant un civil allemand, qui sans me dire la moindre parole, m’a échangé les billets cotre l’équivalent en marks ; à cet instant, les dieux se sont trouvés à nos côtés !
Le train-express ne nous ayant pas attendus, nous avons décidé de passer la nuit dans une pension, car nous avions besoin de repos. Nos faux papiers d’identités nous ont permis d’entrer, sans difficultés, dans un petit hôtel ; dans la chambre en laissant tomber le loden, nous nous sommes regardés dans un grand miroir et nous partis d’un fou rire ; se voir, à Berlin, le 15 avril 1942 en tenue d’aviateur belge, c’est une image étonnante que j’ai encore devant les yeux, 45 ans plus tard.
Sortis de l’hôtel, dès six heures du matin, et après avoir fait le tour de Berlin en métro, assisté à une séance de cinéma, nous nous sommes rendus à la « Potzdamer Bahnhof » et là la chance nous a définitivement laissé tomber ; deux agents de la Gestapo nous ont mis la main au collet, en nous disant dans un excellent français, qu’ils ont vu les mêmes papiers, chez huit autres officiers déjà arrêtés, la veille au soir dans le trainexpress vers Aix-La-Chapelle.
Nous avions donc eu un jour de répit ! Nous avons passé la nuit dans une caserne de cavalerie à Berlin, où le Colonel nous a offert le réconfort d’un grand verre de « Schnaps ». Le lendemain, notre randonnée s’est terminée par un mois de cachot à la caserne d’artillerie, située à deux kilomètres du camp. Ce séjour m’a permis de bien connaître les arrières de cette caserne, ce qui m’a beaucoup aidé pour ma seconde évasion.
En conclusion, cela ne s’était pas trop mal passé mais des renseignements précis, de l’argent allemand et un vêtement civil étaient indispensables.

Deuxième Evasion.

Le 9 décembre 1942 vers 10.30 Hrs, j’ai été averti par le Service organisateur des évasions, que j’avais une demi-heure pour m’équiper d’un vêtement civil (reçu dans un colis), et de revêtir par-dessus, un équipement de soldat.
A l’heure prévue, je me suis introduit dans la corvée des soldats belges, occupés à charger une charrette de la Wehrmacht avec des emballages de colis. Protégé par mes amis, qui devaient distraire la sentinelle et le conducteur, j’ai rapidement basculé dans le véhicule et ai été immédiatement recouvert d’emballages par les soldats de corvée. 
La charrette est ensuite repartie vers la caserne d’artillerie, en passant à travers le contrôle à la sortie du camp.
A la caserne, comme il était midi, le conducteur a dessellé ses deux chevaux et s’est dirigé vers les écuries. J’ai eu, de ce fait, toute liberté de ma hisser hors du véhicule, de courir à toutes jambes vers le bois jouxtant l’arrière de la caserne et de me débarrasser de l’équipement de soldat.
Je suis, dès lors, repassé devant le camp où j’ai pu revoir quelques amis, aux fenêtres. Ne disposant d’aucun papier ni de nourriture mais bien d’un paquet de cigarettes et d’une liasse de billets de marks, mon plan a été de faire vite en prenant le premier train vers Berlin et de là, faire le détour par le Sud (Leipzig, Wurzburg, Mayence, Coblence, Prüm), en empruntant des trains omnibus. C’est au cours d’un arrêt, vers minuit, à la gare de Wurzburg que j’ai passé les deux heures les plus longues de cette évasion. Je me suis trouvé, seul jeune civil, au milieu de centaines de militaires allemands, de tous grades, tous équipés se rendant vers l’Est ou l’Ouest. Pas un seul ne m’a approché pour me poser la moindre question.
L’arrivée du train m’a heureusement permis de sortir de cette situation difficile et de pousser un « ouf » de soulagement. Cette randonnée m’a pris trois jours et deux nuits pour arriver à St Vith et rejoindre, à pied, une ferme dont j’avais l’adresse à Oberemmels, à nouveau territoire allemand. De la gare de St Vith, je me suis dirigé vers ce village, à 6 kilomètres. En cours de route, j’ai été dépassé par un civil, à bord d’une charrette ; il m’a regardé avec insistance, s’est arrêté quelques mètres plus loin et m’a interpellé par le mot « Kriegsgefangene » ? About de force, n’ayant ni mangé, ni dormi depuis la sortie du camp, j’ai pris tous les risques en lui répondant affimativement. Il m’ alors invité à l’accompagné ; il m’a conduit directement à la ferme où je devais me rendre et dont il était le fils ! Rempli de joie et d’émotion, je l’ai longuement serré dans mes bras.
Le lendemain, j’ai traversé la frontière, à travers bois, guidé par une jeune fille de 15 ans. Je suis resté deux mois en Belgique, pour me remettre de toutes ces émotions et pour trouver un filière.
J’ai rencontré trois aviateurs parachutistes mais aucun n’a pu m’aider à repartir. Parti à Paris, le 09 mars 1943, j’ai rencontré un inspecteur de police qui m’a fortement conseillé de me rendre en Suisse pour y rencontrer l’Attaché de l’Air anglais à Berne.
J’ai malheureusement suivi son conseil ; le lendemain je suis entré clandestinement en Suisse, après avoir marché une courte distance, dans la neige jusqu’à mi-corps. J’ai été arrêté par ce que je croyais être des soldats allemands mais qui, en fait, étaient des soldats Suisses, casqués et équipés comme les allemands. Enfermé dans une cellule, pendant un mois, à la prison de Porrentury, j’ai été traité comme un prisonnier de droit commun et très mal nourri. A la fin de mars, j’ai été remis au Consulat Belge à Genève qui m’a enlevé tout espoir de sa part. « Boy ? THIS IS A TRAP. I HAVE IN Switzerland ? hundred of RAF crews who must stay here and wait until the end of the war ».
A la pension, j’ai fait la connaissance d’un civil qui s’est avéré, par après, être Commissaire de Police. Je lui ai parlé de mes intentions ; deux mois plus tard, la police de Genève m’a procuré tous les papiers nécessaires ainsi que les timbres de ravitaillement pour traverser le Sud de la France ; très tôt, un matin, elle m’a fait franchir la frontière française à Anemasse, en échappant à la patrouille allemande.
La suite de l’aventure, c’est l’histoire connue par tous les évadés de Belgique : Traverser la France pour franchir la frontière espagnole, à travers les embûches de toute nature, connaître les prisons de Figueras, de Gerone et le célèbre Camp de Miranda d’où j’ai été extrait à la Noël 1943.

Londres – Eaton Square.

Arrivé à Londres au début de Janvier 1944 et fier d’avoir atteint ce courageux pays de liberté, j’ai cru, dans ma candeur naïve, que l’accueil des Autorités belges serait amical et encourageant ; cela a été tout sauf cela !
A Londres, j’ai subi mes plus grandes déceptions, par le seul fait d’officiers « fonctionnaires » dont je me suis demandé pour quelles raisons ils avaient rejoint l’Angleterre ! Comme tout belge, arrivant à l’étranger, je suis passé au bureau de recrutement où j’ai rencontré un officier de la Force Terrestre, sans recevoir le moindre mot de bienvenue. J’ai été prié de décliner mon identité et mon grade. Cet officier a, ensuite, sorti son annuaire de 1938 et m’a déclaré que j’y étais renseigné comme observateur. Je lui ai sèchement répondu que j’étais pilote breveté en août 1939 ; après cette courte et peu courtoise conversation, j’ai été remercié.
En passant, le lendemain à l’Etat-Major de l’Aviation, au 16 Eaton Square, j’ai été reçu à bras ouvert par un ami qui m’a fait lire une lettre adressé à l’Etat-Major par l’officier de recrutement ; cette lettre disant textuellement ceci : « Un officier du nom de Henry s’est présenté hier à mon bureau et a déclaré être breveté pilote de 1939. D’après les documents en ma possession, cet officier est cité comme observateur ; si cet officier a menti, veuillez le renvoyer à la Force Terrestre ».
Saisi d’une rage subite, j’ai demandé à garder cette lettre, car mon intention a été de me rendre, sans coup férir, au bureau de recrutement pour secouer violemment cet officier, et pour exiger des excuses. Mon ami, se rendant compte de ce qui allait arriver, m’a conseillé de garder mon calme et il a déchiré cette lettre sans y donner la moindre réponse. Quelques jours plus tard, mon beau-frère, pilote à Benson (Unité de reconnaissance photographique – PRU), m’a invité à lui rendre visite sur cette base.
J’y ai été très amicalement reçu par l’Air Commodore, Commandant de la base, et qui m’a déclaré que tout était prêt pour me faire suivre un cours de rafraîchissement au pilotage et de me faire entrer ensuite dans une de ses escadrilles, équipées de Spitfire.
(Ces avions volaient, sans armement, à très haute altitude et photographiaient les dégâts causés, dans l’une ou l’autre ville allemande, par les bombardements de la nuit précédente).
Heureux de l’avenir qui m’était promis, je me suis rendu au 107 Eaton Square, chez le group Capitain, responsable des mutations du personnel navigant, pour l’en informé. A ma grande déception, je me suis entendu dire que « j’étais trop vieux pour voler sur « Spit » et, que j’allais être entraîné sur bimoteur.
Quel accueil chaleureux et encourageant reçu à Benson, comparé à ma déception à Londres ! Il est vrai que j’ai eu à faire, d’un côté à des opérationnels qui faisaient la guerre, et de l’autre, à des bureaucrates.
Il va sans dire qu’après la guerre, mon attitude vis-à-vis de ces deux Officiers Supérieurs (l’un a été Ministre de la DN, l’autre a été promu au plus haut grade !) a été marquée d’un profond dédain. Malgré tous ces avatars, j’ai eu, cependant, la grande satisfaction de finir la guerre sur l’aérodrome de Osnabruck, en Allemagne, avec une escadrille de Mitchell B25. C’était l’heureuse conclusion de mon aventure.

Quand on pense à l’issue des dix-huit jours 1940, aux cinq années passées derrière les barbelés par des milliers de militaires de tous grades, on se pose la question de savoir pourquoi les Chefs responsables de la conduite des opérations, n’ont pas le souci et le cran de laisser toute liberté d’action à leur subalterne ?
Ce faisant, ils auraient rendu un très grand service au Pays. Il est heureux que quelques centaines d’hommes, de toute classe, ont rejoint l’Angleterre pour continuer le combat.
L’honneur de la Belgique était sauf.


A la fin de la guerre, le Général Henry passe au Transport Command de la RAF jusqu’à la création de la Force Aérienne belge en 1946. Il est nommé Commandant de la 20éme Escadrille du Wing de Transport Aérien Belge en 1947 et passe au Secrétariat du Comité des Chefs d’Etat-Major (COCEM) en 1949.
Lieutenant-Colonel en 1952, il devient le Commandant du Groupe de Vol du 2e Wing Chasseurs-bombardiers équipé d’avions F-84G, à Florennes puis crée le 9e Wing Chasseurs-bombardiers à Bierset en 56 pour devenir le Sous-Chef d’EM de la Force Aérienne. Entretemps, il avait été nommé Colonel et Aide de Camp du Roi.
En 1959, il passe au Collège de l’OTAN à Rome avant d’occuper le poste de Chef d’EM du COCEM, poste qu’il quittera en mars 1960 pour devenir le Chef d’EM de la FAé.
Nommé Général-Major en décembre de la même année, il démissionnera de ses fonctions en 1964, suite à la décision du MDN, dans le cadre de la création du poste de Chef d’EMG  des Forces Armées, de ne pas accepter, par écrit, une alternance pour cette fonction entre les trois Forces.